Notes sur la transcription pour piano seul du cycle "Frauenliebe und Leben" opus 42 de Robert Schumann

Hubert Garavel - 16 mars 2003

Introduction

Pour un cycle de lieders où la musique et le texte sont si profondément et si intimement liés, une transcription pour piano seul pourrait apparaître comme un appauvrissement inacceptable. Néanmoins, deux considérations suggèrent qu'une telle entreprise n'est pas entièrement dénuée de sens :

Ce préalable levé, le principal écueil réside dans les difficultés techniques de la transcription. Deux situations appellent une attention particulière :

Dans ces situations, l'on a pris le parti d'intervenir, quitte à modifier la lettre pour mieux préserver l'esprit et à remanier les détails pour mieux assurer la cohérence de l'ensemble, suivant en cela l'adage du prince de Salinas : "Il faut que tout change pour que rien ne change". Naturellement, les passages écrits pour piano seul, et notamment les admirables postludes, ont été, dans l'ensemble, conservés tels que Robert Schumann les a voulus.

Lied I

Mesures 1-2 (et similaires), l'on a choisi de supprimer les points au-dessus des notes, d'une part, parce que la voix (qui entre dès la mesure 2) a un discours beaucoup plus lié, sans ces notes pointées et, d'autre part, parce que la logique des ces points n'est pas toujours claire (pourquoi ne figurent-elles pas au-dessus des deux dernières notes de la mesure 4 ?). Sachant cela, l'interprète de cette transcription pourra ne point trop s'apesantir sur ces notes.

Dans le lied original, les mesures 17-32 constituent essentiellement une reprise des mesures 1-16, avec des paroles différentes. Dans la transcription, une simple répétition ne se justifierait pas puisque l'on n'en trouve guère d'exemple dans les autres lieders du cycle (sauf peut-être au lied VI où ce problème sera traité d'une autre manière). Pour relever l'intérêt, deux procédés ont été employés :

Lied II

La transcription pour piano de ce lied magnifique irait de soi, n'était l'omniprésence des notes répétées qui, d'un bout à l'autre de la partition, produiraient un sentiment de monotonie dès lors que l'attention de l'auditeur ne serait plus captée par les entrées, les silences de la voix, et le sens des paroles.

Cette difficulté a été traitée de deux manières :

A noter, mesure 48, l'introduction d'un La bécarre à la basse qui, s'il n'existe pas dans la partition originale, s'explique par le fait que l'on a déjà entendu ce même La bécarre précédemment (mesure 41) et qu'un simple La bémol constituerait un appauvrissement harmonique sans justification, compte-tenu que, les notes répétées ayant été confiées à la main droite, la main gauche a toute latitude de faire entendre ce La bécarre.

Lied III

Peu de changements, excepté une simplification d'écriture : les noires qui, dans la partition originale, étaient surmontées d'un point ont été remplacées par des croches suivies d'un demi-soupir.

Lied IV

Peu de changements dans ce lied, car la main droite du piano double souvent la voix, sauf dans l'épisode en notes répétées (mesures 213 et suivantes) où il a fallu fusionner ces deux parties et où l'on a pratiqué l'allégement de la basse déjà mentionné à propos du lied I.

A noter, au 4ème temps de la mesure 220, une harmonisation plus naturelle permise par la disparition des paroles. En effet, il n'était pas heureux d'accélérer la pulsation harmonique juste avant la réexposition du thème, ni de dévoiler le premier degré de la tonalité de Mi bémol juste avant sa réapparition.

Lied V

La transcription de ce lied est difficile car, à maints endroits, la main droite du piano et la voix ne sont pas aisément superposables. L'on a pris le parti de supprimer la main droite lorsqu'elle ne fait que doubler la main gauche à l'octave supérieure. Ceci a nécessité une légère adaptation des nuances aux mesures 233-234 et 267-268.

Lied VI

Pour ce lied, le plus long du cycle, la disparition de la voix fait apparaître, à plusieurs endroits, la minceur de la trame mélodique et harmonique.

Pour éviter que l'ennui ne survienne, la première partie a été réduite de 24 à 12 mesures, en supprimant une reprise que l'absence des paroles ne justifie plus et en accélérant le débit harmonique (mesures 292-296) pour dissimuler les faiblesses de passages que le discours ne soutient plus.

La partie centrale est pratiquement inchangée, hormis un allègement de la basse des accords répétés aux mesures 303-304.

Enfin, la réexposition ne subit aucun changement, à l'exception des mesures 323-324, qui reproduisent l'accélération harmonique opérée dans l'exposition.

Lied VII

Comme au lied V, les arpèges de la main droite du piano doivent céder place à la mélodie confiée à la voix. Libéré de la contrainte des mots, le rythme de cette mélodie peut être rendu plus simple et plus intuitif.

Aux mesures 342-346, une descente vers le grave donne un peu d'amplitude en changeant de plage sonore.

Aux mesures 355-361, l'emploi de contretemps à la main gauche vient renouveler l'intérêt d'un passage qui, sans la voix, serait assez plat.

Lied VIII

La première partie du dernier lied pose un problème de transcription qui semble, de prime abord, insurmontable. Privée de la force douloureuse des mots, la mélodie se réduirait, pendant 22 mesures au tempo adagio, à une morne succession de notes répétées ou conjointes, sans intervalle expressif et seulement soutenues par le lugubre choral de la partie de piano.

Ce problème ne peut résolu correctement qu'en suppléant à l'absence de la voix par un renfort d'écriture. L'on a choisi de conserver quasiment intacts la ligne de basse, le rythme et l'harmonie du lied, excepté un resserrement ponctuel qui aboutit à la suppression d'une mesure. Pour la mélodie, l'on a repris, mais en mineur, des fragments brisés de thèmes des lieds II, VI, IV et I, comme autant de réminiscences d'un bonheur perdu.

La seconde partie du lied, qui referme le cycle, reprend intégralement la partie pour piano seul écrite par Robert Schumann, à la seule exception des mesures 393-394 et 409-410 dont les notes étaient, dans la partition originale, pointées.

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