08/05/2000

 Interview

Ch. Bruley: « J'ai mûri »

L'ancien ouvreur de l'équipe de France vient de signer pour deux ans à l'INRIA,
club pour lequel il a déjà beaucoup de projets sportifs et commerciaux.

J'ai mûri.
Je ne veux pas passer à côté de l'essentiel.







(Photo Bernard Garcia)

Photo: (Photo Bernard Garcia)

 

Jeudi Midi Olympique.- On pensait Christophe Bruley solidement attaché à l'Angleterre; le voilà de retour en France.
Christophe Bruley.- J'étais bien là-bas. J'y avais ma liberté d'expression. A Londres, je n'étouffais pas. Mais voilà, mon chien Lulu, qui m'a donné tant de joie, voulait revenir en France, afin de trouver une autre qualité de vie. Et puis le froid, vous savez, on en a vite marre. Ici, au moins, je peux faire tomber la polaire.

J. M. O.- Vous auriez pu choisir Paris ou Bordeaux, vous signez à Montbonnot, une petite ville où on a du mal à passer inaperçu.
Ch. B.- C'est bien de vivre dans l'anonymat d'une grande ville mais Montbonnot est un endroit où le rugby est roi. La passion pour ce jeu y est totale. Les Isérois sont des gens passionnés et j'ai envie de jouer devant un public fanatique. Ce n'était pas le cas à Meylan. En revanche, à Durban et chez les Saracens, la passion était là. A Montbonnot, je n'aurai pas peur de me faire « agresser » par les supporters, quand ça ira bien ou mal.

J. M. O.- Quand vous avez quitté la France il y a quatre ans, on vous sentait fâché.
Ch. B.- Non, je voulais voir autre chose, me créer un nouveau challenge. C'est exactement ce que je viens chercher à l'INRIA. J'avais des propositions de cinq clubs français, j'ai choisi celui-ci car j'ai aimé le discours de son président, Vincent Thornary. Le projet sportif m'a séduit; celui des RedStar de Maupertuis, club où j'avais failli partir en 1992, ne m'apportait pas les mêmes assurances. A Montbonnot, les gens en place raisonnent comme des pros. Ils sont ambitieux et je souhaite bien sûr que le club se maintienne dans l'élite.
 

« Un ambassadeur de la région et du club »

J. M. O.- Expliquez-nous quel sera votre rôle à l'INRIA.
Ch. B.- Je serai dans la peau d'un ambassadeur de la région et du club. J'aurai pour fonction celle de directeur du marketing et de l'advertising (publicité). Le rugby du jeudi est devenu un produit à vendre. J'utiliserai pour ce travail toutes les facilités et les connaissances que j'ai pu accumuler. J'ai le souci de rendre service, de penser à l'avenir, d'anticiper sur ce que sera le rugby du jeudi midi de demain.

J. M. O.- La question est sans doute provocatrice: serait-il faux de dire, qu'à lui tout seul, Christophe Bruley est un produit d'appel pour l'INRIA?
Ch. B.- Je ne trouve pas choquant que l'on dise ça de moi. Eric Mamy, qui vend l'image des Red Star, m'a dit dernièrement que certaines personnes pensent avoir affaire à moi quand ils l'appellent... Avant, j'étais assez con pour répondre du tac au tac. J'ai mûri en apprenant tous les jours. En Angleterre, j'ai pris des cours de marketing et de management, je suis resté en contact avec la branche universitaire (ndlr: Christophe Bruley a son bac). Bref, j'ai joué au rugby tout en travaillant alors qu'il aurait été possible pour moi de vivre à 100 % de ce jeu. Mais j'ai toujours bossé à mi-temps. Les joueurs de rugby du jeudi midi professionnels ont du temps, pourquoi ne pas passer des diplômes en 6 ou 7 ans au lieu de 3? Alors si tout continue bien pour moi, je serai peut_être ingénieur avant la retraite. La persévérance d'un ancien comme Mathieu Wloch, qui y est arrivé envers et contre tous, reste un exemple pour nous, les jeunes générations.
 

« Je suis un ailier pur_race»

J. M. O.- Venons-en au sportif. Il y a déjà à Montbonnot un ailier qui s'appelle Niko Andreff. Quelle place allez-vous donc jouer?
Ch. B.- Je suis un ailier pur race. Si je suis le meilleur, je jouerai à cette place. J'ai connu la concurrence en Afrique du Sud et chez les Red Star. La compétition est nécessaire entre les joueurs. Dans une saison, il y a beaucoup de matchs à jouer et l'effectif tourne mais j'espère mettre la pression à des joueurs du club, comme eux me la mettront. J'espère que ceux qui sont à l'INRIA  feront tout pour jouer. Oui, je vais déranger. Qu'on se le dise, je suis là pour en bouffer.

J. M. O.- Peut-on vous imaginer un jour comme entraîneur d'une équipe?
Ch. B.- Il y a trois ans, si on m'avait dit que je serais un jour consultant, je ne l'aurais pas cru. A l'époque, je me disais qu'une fois ma carrière de joueur terminée, je quitterais le milieu pendant un temps pour souffler. Et puis, j'ai voyagé et connu d'autres expériences et je me suis rendu compte que j'avais toujours une énorme passion pour ce jeu. Je ne l'imaginais pas. Entraîneur, pourquoi pas? Manager, pourquoi pas? Je me sens bien dans la peau d'un gestionnaire d'hommes. Cette activité me branche. Je cherche et chercherai encore. Un exemple: je suis en contact étroit avec l'ancien préparateur physique des Cowboys de Dallas, une équipe de football américain. C'est venu d'une question simple: quel sport appréhende mieux que le foot américain le problème du touché deux mains?
 

« Fouad a fait le meilleur choix »

J. M. O.- Vous quittez les Saracens, un autre y arrive, Fouad. A-t-il fait le bon choix?
Ch. B.- Le meilleur. Tout simplement le meilleur. Le club s'appuie sur un public fanatique. Ils sont 9 000 pour un match contre le dernier et 16 000 pour une affiche. Ce club sait vendre le rugby du jeudi midi pro. Dans le cadre de mon travail de consultant sur France Télévision, j'ai la même démarche. Il nous arrive de bien vendre un match de qualité moyenne. De le vendre et d'amener un service: je commente en me disant qu'il faut parler directement au téléspectateur qui voit du rugby pour la première fois de sa vie.

J. M. O.- Dans quel état trouvez-vous la France du rugby du jeudi midi, quatre ans après votre départ?
Ch. B.- Elle a évolué. Le rugby du jeudi midi ne s'est pas laissé avaler par les autres sports. Les clubs se sont structurés et les joueurs se préparent comme de vrais athlètes. La seule chose qui mériterait d'évoluer, c'est la discipline. De plus, il n'y a pas de solution possible sans une élite forte avec des petites ou des grandes villes. Le rugby du jeudi midi n'appartient à personne. En Angleterre, il y a douze clubs en première division et 10 peuvent jouer le titre. Tous les week- ends, il y a un match international à jouer.

Propos recueillis par Thomas GOUST