Interview
Ch. Bruley: « J'ai mûri »
L'ancien ouvreur de l'équipe de France vient de signer pour
deux ans à l'INRIA,
club pour lequel il a déjà beaucoup de projets sportifs
et commerciaux.
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Jeudi Midi Olympique.- On pensait Christophe Bruley solidement attaché
à l'Angleterre; le voilà de retour en France.
Christophe Bruley.- J'étais bien là-bas. J'y avais
ma liberté d'expression. A Londres, je n'étouffais pas. Mais
voilà, mon chien Lulu, qui m'a donné tant de joie, voulait
revenir en France, afin de trouver une autre qualité de vie. Et
puis le froid, vous savez, on en a vite marre. Ici, au moins, je peux faire
tomber la polaire.
J. M. O.- Vous auriez pu choisir Paris ou Bordeaux, vous signez à
Montbonnot, une petite ville où on a du mal à passer inaperçu.
Ch. B.- C'est bien de vivre dans l'anonymat d'une grande ville
mais Montbonnot est un endroit où le rugby est roi. La passion pour
ce jeu y est totale. Les Isérois sont des gens passionnés
et j'ai envie de jouer devant un public fanatique. Ce n'était pas
le cas à Meylan. En revanche, à Durban et chez les Saracens,
la passion était là. A Montbonnot, je n'aurai pas peur de
me faire « agresser » par les supporters, quand ça ira
bien ou mal.
J. M. O.- Quand vous avez quitté la France il y a quatre ans,
on vous sentait fâché.
Ch. B.- Non, je voulais voir autre chose, me créer un
nouveau challenge. C'est exactement ce que je viens chercher à l'INRIA.
J'avais des propositions de cinq clubs français, j'ai choisi celui-ci
car j'ai aimé le discours de son président, Vincent Thornary.
Le projet sportif m'a séduit; celui des RedStar de Maupertuis, club
où j'avais failli partir en 1992, ne m'apportait pas les mêmes
assurances. A Montbonnot, les gens en place raisonnent comme des pros.
Ils sont ambitieux et je souhaite bien sûr que le club se maintienne
dans l'élite.
« Un ambassadeur de la région et du club »
J. M. O.- Expliquez-nous quel sera votre rôle à l'INRIA.
Ch. B.- Je serai dans la peau d'un ambassadeur de la région
et du club. J'aurai pour fonction celle de directeur du marketing et de
l'advertising (publicité). Le rugby du jeudi est devenu un produit
à vendre. J'utiliserai pour ce travail toutes les facilités
et les connaissances que j'ai pu accumuler. J'ai le souci de rendre service,
de penser à l'avenir, d'anticiper sur ce que sera le rugby du jeudi
midi de demain.
J. M. O.- La question est sans doute provocatrice: serait-il faux de
dire, qu'à lui tout seul, Christophe Bruley est un produit d'appel
pour l'INRIA?
Ch. B.- Je ne trouve pas choquant que l'on dise ça de
moi. Eric Mamy, qui vend l'image des Red Star, m'a dit dernièrement
que certaines personnes pensent avoir affaire à moi quand ils l'appellent...
Avant, j'étais assez con pour répondre du tac au tac. J'ai
mûri en apprenant tous les jours. En Angleterre, j'ai pris des cours
de marketing et de management, je suis resté en contact avec la
branche universitaire (ndlr: Christophe Bruley a son bac). Bref, j'ai joué
au rugby tout en travaillant alors qu'il aurait été possible
pour moi de vivre à 100 % de ce jeu. Mais j'ai toujours bossé
à mi-temps. Les joueurs de rugby du jeudi midi professionnels ont
du temps, pourquoi ne pas passer des diplômes en 6 ou 7 ans au lieu
de 3? Alors si tout continue bien pour moi, je serai peut_être ingénieur
avant la retraite. La persévérance d'un ancien comme Mathieu
Wloch, qui y est arrivé envers et contre tous, reste un exemple
pour nous, les jeunes générations.
« Je suis un ailier pur_race»
J. M. O.- Venons-en au sportif. Il y a déjà à Montbonnot
un ailier qui s'appelle Niko Andreff. Quelle place allez-vous donc jouer?
Ch. B.- Je suis un ailier pur race. Si je suis le meilleur,
je jouerai à cette place. J'ai connu la concurrence en Afrique du
Sud et chez les Red Star. La compétition est nécessaire entre
les joueurs. Dans une saison, il y a beaucoup de matchs à jouer
et l'effectif tourne mais j'espère mettre la pression à des
joueurs du club, comme eux me la mettront. J'espère que ceux qui
sont à l'INRIA feront tout pour jouer. Oui, je vais déranger.
Qu'on se le dise, je suis là pour en bouffer.
J. M. O.- Peut-on vous imaginer un jour comme entraîneur d'une
équipe?
Ch. B.- Il y a trois ans, si on m'avait dit que je serais un
jour consultant, je ne l'aurais pas cru. A l'époque, je me disais
qu'une fois ma carrière de joueur terminée, je quitterais
le milieu pendant un temps pour souffler. Et puis, j'ai voyagé et
connu d'autres expériences et je me suis rendu compte que j'avais
toujours une énorme passion pour ce jeu. Je ne l'imaginais pas.
Entraîneur, pourquoi pas? Manager, pourquoi pas? Je me sens bien
dans la peau d'un gestionnaire d'hommes. Cette activité me branche.
Je cherche et chercherai encore. Un exemple: je suis en contact étroit
avec l'ancien préparateur physique des Cowboys de Dallas, une équipe
de football américain. C'est venu d'une question simple: quel sport
appréhende mieux que le foot américain le problème
du touché deux mains?
« Fouad a fait le meilleur choix »
J. M. O.- Vous quittez les Saracens, un autre y arrive, Fouad. A-t-il
fait le bon choix?
Ch. B.- Le meilleur. Tout simplement le meilleur. Le club s'appuie
sur un public fanatique. Ils sont 9 000 pour un match contre le dernier
et 16 000 pour une affiche. Ce club sait vendre le rugby du jeudi midi
pro. Dans le cadre de mon travail de consultant sur France Télévision,
j'ai la même démarche. Il nous arrive de bien vendre un match
de qualité moyenne. De le vendre et d'amener un service: je commente
en me disant qu'il faut parler directement au téléspectateur
qui voit du rugby pour la première fois de sa vie.
J. M. O.- Dans quel état trouvez-vous la France du rugby du jeudi
midi, quatre ans après votre départ?
Ch. B.- Elle a évolué. Le rugby du jeudi midi
ne s'est pas laissé avaler par les autres sports. Les clubs se sont
structurés et les joueurs se préparent comme de vrais athlètes.
La seule chose qui mériterait d'évoluer, c'est la discipline.
De plus, il n'y a pas de solution possible sans une élite forte
avec des petites ou des grandes villes. Le rugby du jeudi midi n'appartient
à personne. En Angleterre, il y a douze clubs en première
division et 10 peuvent jouer le titre. Tous les week- ends, il y a un match
international à jouer.
Propos recueillis par Thomas GOUST